Dans le monde réel
Une fois rentrée chez elle, Marie sentit sa maîtrise d'elle-même s'effondrer. N'ayant plus besoin de cacher à d'éventuels passants son état moral, elle se laissa submerger par le chagrin. En quittant la chambre de son frère, elle avait demandé à voir le médecin qui s'en occupait. Après une longue hésitation que la jeune femme avait minée à force d'insistance, l'homme lui avait appris que son frère était plongé dans le coma et qu'on ignorait quand il en sortirait.
Un cri de douleur pure s'échappa de sa poitrine à cette seule pensée, suivi de sanglots incontrôlables. Longtemps elle demeura prostrée, en boule dans son fauteuil favori, le visage enfoui entre ses bras. Cependant les larmes les plus inconsolables finissent toujours par se tarir. Essuyant ses paupières irritées par les pleurs, elle tourna ses pensées vers Ylin. Etant impuissante à faire quoi que ce fût pour son aîné, il fallait qu'elle pense à autre chose ; et pour cela, le meilleur remède était d'écrire. Elle se lança donc à corps perdu dans sa rencontre avec son héroïne.
Ce fut laborieux : au début, ne parvenant pas à se concentrer, elle dut relire les pages précédentes. Puis elle commença à écrire, mais les phrases venaient avec réticence, lui déplaisaient, nécessitaient d'être remaniées sans cesse. Le dialogue notamment lui posa de réelles difficultés : devait-elle s'exprimer comme elle le faisait tous les jours ou adopter le langage archaïque du monde de sa protagoniste ? Finalement, elle opta pour la première solution.
Elle avait à peine commencé à discuter avec l'elfe que l'on sonnait à sa porte. Sursautant violemment, elle mit du temps à reprendre conscience de son environnement. On sonna une deuxième fois. Quand elle alla ouvrir, elle se retrouva face à Jérémie. Comme il ouvrait la bouche, elle lui fit signe de se taire d'un geste péremptoire. Sans protester, il se tut et la suivit en silence comme elle retournait à son écrit. Il connaissait bien ces moments où son amie, plus concentrée qu'à l'ordinaire, ne voulait rien entendre tant qu'elle n'avait pas achevé de coucher sur le papier ce qu'elle avait à l'esprit. Marie se replongea dans son récit, oubliant où elle était, ignorant la présence du jeune homme, à nouveau auprès de son personnage...
Quand elle reprit enfin conscience de la réalité, elle entendit un bruit. C’était une sorte de craquement, un peu comme un mur qui se fend. Au même moment, Jérémie, à côté d’elle, sursauta.
« Tu as entendu ? demanda-t-il.
– Quoi, ce craquement ? rétorqua Marie. Bien sûr que je l’ai entendu. Il était assez fort pour ça. Qu’est-ce que c’était, à ton avis ?
– Je ne sais pas. On aurait dit…
– Un mur ? suggéra Marie.
– Oui, c’est ça. Un mur qui craque. C’est bizarre, non ? Les murs sont solides, ici, pourtant.
– Ce n’est pas ici, corrigea la jeune fille. Quelque chose s’est brisé, c’est sûr, mais pas ici, parce que je ne l’ai pas entendu avec mes oreilles ; c’est vrai, j’avais plutôt l’impression que ça résonnait dans ma tête. Mais comme si c’était loin, très loin d’ici...
– Mais alors, pourquoi est-ce que tout le monde l’a entendu ? s’inquiéta Jérémie.
– Comment peux-tu être sûre de ça ?
– De quoi ?
– Hé bien, que tout le monde l’a entendu !
– Aucune idée, répondit-il en haussant les épaules. Je le sais, c’est tout. Mais tu le sais aussi, non ?
– Heu…Pas vraiment, mais… Je l’ai senti, en tout cas. J'espérais que tu saurais pourquoi... »
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