Nouvelles et romans

jeudi 24 novembre 2011

Eux (1)

Où se situe la frontière entre la folie et la raison ? Si quelqu'un voit des choses dont personne d'autre n'a conscience, est-il fou pour autant ?
Nouvelle écrite le 24 novembre 2010.


Ils étaient là. Elle le savait. Elle le sentait. Ils avaient beau nier, les autres, avec leurs visages d'automates aseptisés ; ces gens-là ne faisaient jamais attention à ce qu'il se passait autour d'eux, enfermés qu'ils étaient dans leur petite vie étriquée, dans leurs soucis, dans leur incrédulité. Mais elle, elle les voyait, contrairement à ses geôliers.


 Oui, elle les voyait.


 "Oh, je ne les vois pas avec les yeux, avait-elle tenté d'expliquer au chef des visages aseptisés. C'est juste... Du coin de l'oeil, une vision fugitive. Ils ne se laissent pas regarder en face, vous savez... Mais si je me concentre sur mon livre ou mes magazines, ils arrivent, et je peux les observer à la dérobée.
- Et à quoi ressemblent-ils ? avait demandé l'homme, l'air moqueur.
- Je sais ce que vous pensez, docteur, avait répondu dignement la vieille femme, mais vous vous trompez ! Je ne suis pas folle.
 - Alors, arrêtez d'éluder mes questions, Madame Thana, et répondez ! A quoi ressemblent-ils ?


 Mais la vieille femme était têtue, et refusait de se laisser faire.


- S'ils ne se laissent pas voir par vous, c'est qu'ils ne veulent pas que vous le sachiez !
- Soit ! avait soupiré le médecin – décidément, il n'avait jamais eu de patiente aussi folle que celle-là ! mais il lui fallait l'interroger jusqu'au bout, coûte que coûte, pour faire son diagnostic. Mais alors, dites-moi au moins pourquoi ils sont là ? que font-ils ? que veulent-ils ?
- Ils observent. Ils attendent.
 - Quoi ? ils attendent quoi ?


Penché ainsi vers sa patiente, les mains crispées sur les accoudoirs, les narines frémissantes d'impatience contenue face aux réponses qu'elle lui donnait au compte-goutte, droite et digne, c'est le psychanalyste qui avait l'air d'un fou, et Madame Thana qui paraissait sensée... Conscient de cela, l'homme se redressa et tenta de ses détendre.


- Bah, fit sa patiente, méprisante. Cela ne vous regarde pas !"


La conversation s'était arrêtée là : pas moyen pour le médecin d'arracher un autre mot à Madame Thana. Et pour l'heure, en repensant à la rage impuissante des gens qui voulaient la "traiter pour son trouble hallucinatoire", elle souriait toute seule, les yeux brillants de malice. Oh non, elle n'était pas folle ! Mais elle préférait passer pour telle que dévoiler son secret. Quand bien même elle devrait l'enterrer avec elle.


Un mouvement imperceptible à la périphérie de son champ de vision attira son attention. Elle sourit, et se plongea dans sa contemplation discrète, tout en feignant de lire ses magazines. (à suivre)

7 commentaires:

  1. Je n'ai jamais fait confiance à un psy ,
    Pour connaître quelqu'un il faudrait passer un temps "fou" avec lui et ce n'est pas le cas.
    A demain pour la suite
    Douce journée ERYNDEL

    Bisous

    timilo

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  2. Merci timilo ! La suite est pour ce soir, effectivement.
    Amitiés

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  3. Intriguant !
    Son nom de famille est-il parlant ?

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  4. Oui... Thana, c'est le début du nom grec Thanatos, qui désignait la mort. Ici c'est une mort symbolique - seule sa vue l'a quittée - mais qui la réconforte, puisque toutes ses souffrances disparaissent.

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  5. Un suspense haletant! Je vais de ce pas lire la suite. J'aime bien les nouvelles fantastiques

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  6. Et surtout qui est fou et qui ne l'est pas , Un fou est celui qui ne fait , qui ne ressent ou ne voit pas les choses comme la majorité des gens. Mais ce n'est pas toujours la majorité qui a (la) raison

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  7. On est d'accord, Tony Yves ! Les gens considérés comme fous ne le sont pas forcément.

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