Nouvelles et romans

dimanche 6 novembre 2011

La pluie

En attendant un nouveau récit en plusieurs chapitres, voici une nouvelle composée le 22 janvier 2009, par temps de pluie. 




 Elle regardait la pluie tomber et se demandait quand cela allait enfin cesser. La vie était vraiment mal faite. Depuis combien de temps pleuvait-il ? Une heure, un jour ? Une semaine ?... Quelle importance, après tout... Elle soupira, et se détourna. La pluie la déprimait. Elle s'ennuyait tant...


Saisissant un bouquin au hasard sur ses étagères, elle se pelotonna sur son lit, qu'elle avait tant de mal à quitter ces derniers temps. Hélas, impossible de se distraire. Ses yeux parcouraient les lignes, son esprit vagabondait sous la pluie froide et triste. Saleté... Elle avait l'impression qu'il pleuvait en elle, aussi. Comment disait-il, Verlaine, déjà... ? Ah, oui :
"Il pleure dans mon cœur 
Comme il pleut sur la ville."
Voilà, c'était exactement cela. La pluie, c'était en elle qu'elle se trouvait, pas à l'extérieur. Les rayons du soleil qui brillaient là dehors étaient gris et froids parce que son coeur était froid, et que son âme était grise. Elle soupira, reposa le livre, le reprit, tourna machinalement les pages, le reposa. Elle s'ennuyait tant...
"Quelle est cette langueur 
Qui pénètre mon cœur ?"
Le livre refusait de se laisser lire, le soleil dédaignait de la réchauffer, de l'éclairer... Et les larmes de Verlaine, inlassablement, martelaient son pauvre cœur.  Le temps, impitoyable, semblait empêtré dans la mélasse... Il se traînait, lui aussi. Il ressassait, comme elle. Il refusait de continuer à avancer, boudeur, obstiné, engoncé dans sa propre contrariété. Ras-le-bol. Ras-le-bol d'avancer, de faire comme si tout allait bien, comme si rien ne pouvait l'abattre. Ras-le bol de faire semblant, de jouer les optimistes, de pousser les autres à se relever, à ne pas se décourager alors qu'elle était dans un état pire que le leur.


Et ce temps... Et cet ennui, ce désœuvrement, cette solitude, aussi...
"Oh bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie
Oh le chant de la pluie ! "
Mais il ne pleuvait qu'en elle et le soleil était toujours si froid, si lointain, si inaccessible...


Elle s'ennuyait tant... Elle se releva, laissant le livre posé là, ouvert, sur la couette froissée. Elle ne se sentait pas le courage de le ranger. Allons, bon, quelle heure était-il ? Pour la millième fois en un quart d'heure, elle consulta la pendule. Que c'était long... Un instant, elle s'imagina que le temps s'était figé. Elle voyait les gens, dans les rues, immobilisés à jamais dans leurs gestes, et cette pensée l'amusa un moment. Puis, elle comprit que dans ce cas, elle serait seule à vivre encore, à se mouvoir normalement dans un monde paralysé. Il lui sembla soudain plus difficile d'avancer vers le salon. Elle avait l'impression de marcher dans un marécage avec de la boue jusqu'à la poitrine... Tout à coup, il s'éleva dans la pièce silencieuse l'ouverture de Carmen... Le téléphone !  Elle bondit, s'arrachant à la vase sous les rayons dorés de l'astre du jour bienveillant, décrocha... Après tout, elle avait peut-être tort de se morfondre...
"Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui écœure.
Quoi ! Nulle trahison ?...
Ce deuil est sans raison."


Encore que...
"Oui, allô ?"
C'était son cœur, son âme, sa vie. L'espoir l'envahit, un sourire timide lui vint aux lèvres. Elle n'avait plus eu de nouvelles depuis si longtemps... Mais au fur et à mesure qu'il parlait, ses joues pâlissaient, sa respiration se faisait irrégulière, ses yeux s'emplissaient de larmes.
"Ecoute, sanglota-t-elle après avoir écouté un instant. Je n'en peux plus. C'est le cauchemar. Je m'ennuie, sans toi... Il pleure dans mon cœur, tu comprends ?... Non, c'est du Verlaine... Je t'en prie, quand reviens-tu ? Quand viens-tu me chercher ?... Quoi ? Non ! Comment peux-tu me faire ça ? Tu... Tais-toi ! Je ne veux plus t'entendre."


 Son visage était ravagé par la douleur. Elle raccrocha. Il faisait si froid... La pluie s'infiltrait partout... Son univers s'écroulait. C'était fini. Elle était morte, morte son âme, et mort son cœur plus froid que marbre. Même celui dont elle croyait être aimée l'abandonnait... Même lui refusait de l'aider... Et bien soit, si elle encombrait, ma foi... Pourquoi ne pas leur rendre un dernier service, à tous ces ingrats, qui se détournaient d'elle quand elle avait besoin d'eux ? Il pleuvait à travers le toit, à travers les murs... quels murs, d'ailleurs ? La vase du marécage se refermait sur elle. Elle étouffait, elle perdait pied. Et le pire, c'est qu'elle n'était pas certaine de bien savoir pourquoi... Pourquoi ne la comprenait-on pas ? Pourquoi ne l'aidait-on pas à s'en sortir, pourquoi personne ne lui disait-il qu'elle n'avait nulle raison de se sentir asphyxiée ?
"C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine !"
Justement... l'absence d'amour en était cause, peut-être ?


Une semaine plus tard, dans la rubrique des faits divers, on pouvait lire cet article : "Hier, rue de la Pluie, Mlle Tilkka Suru a été retrouvée morte par ses voisins. Intrigués par son absence d'allées et venues, ils ont forcé sa porte et ont aussitôt été agressés par les exhalaisons fétides qui se dégageaient des lieux. Après avoir coulé un bain, Mlle Tilkka Suru y a plongé la tête pour se suicider. La famille a été prévenue et l'enterrement aura lieu dans huit jours. Elle avait pourtant tout pour être heureuse, d'après sa sœur. Une enquête a été ouverte afin de découvrir ce qui a poussé la jeune femme à se tuer..."

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