Nouvelles et romans

dimanche 2 octobre 2011

C'était écrit - chapitre V (4)

Dans le monde réel ? Imaginaire ? Ailleurs ?


La matinée était assez avancée quand, à l’orée des bois, les trois promeneurs s’arrêtèrent pour pique-niquer. Comme ils discutaient joyeusement de leurs vies respectives, de la façon d’écrire de chacun et de bien d’autres choses encore, une voix mélodieuse s’éleva, interrompant leur conversation :
« Pardon, seigneurs et noble dame, de troubler votre repas, mais je me sentais si seule, et mon bonheur fut tel en vous entendant,  que j’ai éprouvé le désir de me joindre à vous. Cela vous agrée-t-il ? »
Tous trois se tournèrent vers la nouvelle venue. Elle leur souriait respectueusement et, dans ses yeux sombres, d'imperceptibles étoiles d’or brillaient discrètement. Puis, soudain, ses yeux s’écarquillèrent ; au même instant, Marie poussait un cri :
« Ylin ! Mais comment… ? Que… ? Qu’est-ce que tu fais ici ?
– Dame Destinée ! souffla l’Arc Blanc, sidérée. Adoncques vous êtes revenue !
 – Mais non ! Je suis dans mon monde, ici. C’est là que je suis née, c’est là que je vis, et c’est là que je mourrai. Mais toi, par contre, tu n’es pas dans le tien. Comment es-tu arrivée là?
– Point ne suis venue dans votre monde, protesta Ylin. Car j’ignore comment y aller, et je désire avant tout achever ma quête. Nous sommes donc dans le mien.
– Ne nous disputons pas, intervint l’Autre. Je crains que nos mondes ne se soient fondus. Voilà pourquoi Ylin se retrouve ici sans avoir eu le sentiment de changer d’univers ; à moins, évidemment, que ce ne soit nous qui nous retrouvons à moitié dans son monde. »
 – Nous, dites-vous ? Alors, votre univers aussi ? interrogea Jérémie, soucieux.
– Exactement. J’écrivais et j’étais ici à la fois. Et d’un seul coup, avant d’avoir compris ce qui m’arrivait, j’ai radicalement basculé de là-bas à ici. Je ne voulais pas le dire, pour ne pas vous effrayer ; mais l’arrivée d’Ylin m’a poussé à le faire. Je ne suis plus en train d’écrire : je discute librement avec vous.
– Librement ? Êtes-vous sûr que personne n’écrit votre histoire ?
– Pas quand j’écris. Or, je crois qu’on me considère toujours comme en train d’écrire. De plus, cela fait un moment, me semble-t-il, que mon créateur délaisse son manuscrit, comme s’il avait décidé d’abandonner mon histoire. Je ne suis qu’un orphelin, un personnage livré à lui-même par un concepteur dédaigneux – ou à court d’imagination.
– Si nous en revenions à notre problème ? intervint Marie. Si j’ai bien compris, nos trois mondes n’en font plus qu’un. Dans ce cas, est-ce que nous n’allons pas avoir le Chef de Guerre Taciturne sur les bras ? Est-ce que nous n’allons pas découvrir des changements dans le paysage, dans la faune, dans la flore ? Des changements en fonction de votre monde, monsieur, et du tien, Ylin ? Qu’allons-nous faire ? Comment réparer nos erreurs ?
– Je ne sais pas, répondit l’Autre d’une voix brisée. Je ne sais vraiment pas. »
Quant à Ylin, elle demeura silencieuse.


 L’Autre et Ylin campèrent dans la forêt pour la nuit, tandis que Jérémie et Marie dormaient chez l'oncle et la tante du premier. Or, quelle ne fut pas leur surprise quand ils furent interrogés par Louis et Elisabeth sur le manuscrit de Marie ! Leur discours, en effet, prouvait qu’ils savaient, comme eux, la vérité quant aux mondes imbriqués. Dès qu’ils se furent attablés devant le souper, Louis prit la parole :
« Marie, que raconte ton histoire, déjà ?
– Ben, les aventures d’Ylin l’elfe et de ses compagnons. Ses amis sont massacrés, et elle, elle doit venger les siens en tuant son ennemi, qui est le Chef de Guerre Taciturne. Pourquoi ? s'étonna-t-elle.
– Hem ! C’est bien ce que je pensais, murmura Louis en échangeant avec sa femme un sombre regard.
– Quoi ? Qu’est-ce que tu pensais, Tonton ? interrogea Jérémie, intrigué.
 – Vous avez fait des sottises en voulant entrer en contact avec tes personnages, Marie. Je m’en doutais, que ça raterait.
– Vous saviez ?! s’exclama Marie. Mais comment ?
– Oui, dis-le nous, s’il te plaît, Louis! renchérit Jérémie.
– D’accord ! Nous allons vous expliquer. Après tout, vu la situation, le secret n’est plus de mise ! Qu’en penses-tu, chérie ? On peut le leur dire, maintenant ?
– Vas-y, oui. De toute façon, la situation ne peut pas être pire ! soupira Elisabeth.
– Dire quoi ? demanda Jérémie.
– Dire qui nous sommes réellement, ta tante et moi... Bon, allons-y : nous sommes des Observateurs.
– Des quoi ? s’écria Marie. Puis, se reprenant : Pardon, monsieur ; je ne voulais pas être impolie.
– Ce n’est pas grave, la rassura-t-il en souriant. Je comprends fort bien ta réaction. Après tout, tu commences à peine à entrevoir la vérité sur notre univers...
Vois-tu, comme tu l'as découvert par accident, tout homme ou femme qui fait travailler son imagination crée la vie, crée un monde imbriqué dans le sien ou parallèle au sien, s'il lui est similaire. Les Observateurs sont des gens choisis par les êtres qui dominent tous ces mondes imbriqués ; ils surveillent ce qui se passe dans les terres de ces écrivains, cinéastes, concepteurs de jeux vidéo et autres, si tu veux. Appelons-les dieux ou entités supérieures ; peu importe. Toujours est-il que nous autres Observateurs, nous connaissons la vérité au sujet des univers qui se côtoient.
– Notre rôle, poursuivit Elisabeth, c’est de veiller à ce que tout se passe bien. Si quelqu’un, quelque part, prend conscience de l’organisation des mondes parallèles et imbriqués, à nous d’en avertir les entités supérieures.
– Parce que si ça se sait trop tôt, précisa l'oncle de Jérémie, on risque le chaos ; la preuve : vous faites des expériences irréfléchies, et nous voilà en pleine pagaille... Les mondes ne doivent pas se mélanger. Mais vous, inconsidérément, vous en avez fondu deux.
– Trois, rectifia tristement Marie. Celui qui écrivait notre histoire a fait comme moi ; il est venu parler à ses créations ; et maintenant, il ne peut plus partir.
– C’est grave, murmura Elisabeth. La situation est gênante, cette fois. Trois mondes ! Nous allons devoir en parler.
 – Comment allez-vous faire ? demanda Jérémie, curieux.
– Je ne peux pas te le dire, tu ne fais pas partie des Observateurs.
– Mais... intervint encore le jeune homme, puisque nous savons le reste, qu'est-ce que ça change ?
– Ah, maintenant, ça suffit ! le coupa sa tante. Il est tard. Allez dormir et ne vous préoccupez de rien.
– Une dernière question. Pourquoi ne pas m’avoir empêchée de me créer dans l’imaginaire ? questionna l'amie de Jérémie, intriguée. Cela aurait évité une catastrophe...
– Parce que cela nous aurait forcé à révéler notre identité, Marie. Et tu en avais découvert beaucoup trop, déjà. Sans compter que nous ne savions pas encore... C'est notre neveu qui a laissé échapper que vous jouiez les apprentis sorciers avec les pouvoirs de l'imagination. Et puis... aurais-tu vraiment obéi ?
– Non, admit-elle. Je ne crois pas. J’ai tendance à écouter ma curiosité et à ne pas prendre en compte les avertissements. Je m’en repens toujours après, d’ailleurs.
– Alors, pourquoi poser cette question, si tu en as la réponse ?
La jeune femme rougit et ne répondit pas, consciente d'avoir parlé sans réfléchir.
– Demain, vous essaierez de trouver une solution avec l’Autre et Ylin pour empêcher les monstres de ton récit de tout saccager. Pendant ce temps, nous contacterons nos... employeurs. Et surtout, n’en parlez à personne. C’est compris ?
– C’est compris, » murmurèrent les deux amis, l'air penaud.


Dès le lendemain, donc, les quatre fauteurs de trouble se réunirent. La forêt avait changé : une nuance bleu-violet teintait le feuillage d’arbres filiformes au tronc lisse, noir, presque bleu ; le ciel semblait plus vif, le soleil plus rouge ; au loin, les pics plus hauts, plus effilées, plus raides que la normale perçaient les nuages glauques de leur pointe gris bleu d’aiguille à coudre. Et, par endroit, haut, très haut dans l'azur, d'étranges boules de verre reflétaient les rayons de l'astre diurne. Ces transformations n’étaient pas passées inaperçues, évidemment. Le journal du matin en avait parlé. Mais qu’y faire ? Marie et Jérémie expliquèrent la situation à leurs amis. Il ne fallait pas que le Chef de Guerre et ses hordes agissent. Il ne fallait pas que ce général insensible et ses monstres bouleversassent cette terre.


Ylin, qui avait écouté attentivement, prit alors la parole :
« Point ne devez vous inquiéter, ô amis. Le Chef de Guerre Taciturne n’est point invulnérable. Je puis l’empêcher de nuire, car je puis mourir. Ainsi périra-t-il, puisque nos vies sont liées, ainsi que vous le décidâtes, Dame Destinée.
– D’abord, ô Arc Blanc, je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler Dame Destinée mais simplement Marie. Ensuite, je ne sais pas si vos destins sont toujours liés, puisque je ne peux plus écrire ton histoire.
– Comment en être sûrs, Gente Marie ? Point n’avez tenté de la poursuivre.
– Mais… Nous sommes dans le même monde, maintenant. Ça ne peut pas marcher !
– Essaie au moins de le faire, Marie. La situation ne peut empirer, fit remarquer l’Autre.
– Bon, d’accord, soupira l'intéressée. Je vais essayer. »


Elle ouvrit son cahier, qui ne la quittait jamais. Elle le feuilleta jusqu’à la page où le récit s’arrêtait, le posa sur ses genoux. Alors elle prit son stylo de nacre dans sa poche, en retira le capuchon, en posa la pointe sur le papier. Enfin, après une profonde inspiration, elle écrivit : Lors il s’éleva une ombre à l’horizon, et le Chef de Guerre Taciturne s’avança. Et son armée de lupaôs, plus terrible encore en ce lieu inconnu, le suivait de son sinistre vrombissement sifflant. Mais Ylin saisit son épée. « Point n’avancerez plus avant, ô Taciturne Guerrier ! lança Ylin, l’arme à la main. Il est temps pour moi de venger mon peuple. Point ne pourrez jouir des terres que vous volâtes. Point n’irez plus avant en ce monde et le nôtre. Point n’échapperez au Noir Cavalier qui fauche les âmes. Car votre heure est venue – mon heure est venue. Adoncques votre route vous mène au Néant. » Le Chef de Guerre Taciturne ne répondit pas. En revanche, il dégaina calmement son épée dans un sinistre froissement métallique. Ainsi débuta le duel décisif, le duel fatal. Les armes s’entrechoquaient si vite qu’un feu blanc en jaillissait, les combattants étaient si habiles que nul n’eût pu les égaler. La belle Ylin paraissait danser, le sombre guerrier semblait voler. Les lames vivantes sonnaient le glas ; Mort au noir cheval approchait. Soudain, le sang jaillit : Ylin avait percé la défense du Chef de Guerre.


« Hourra ! cria Jérémie. Continue comme ça, Ylin ! » Mais Ylin chancela à son tour. Quand son épée, glissant sur celle de son adversaire, en avait entaillé le bras droit, le sien avait été blessé aussi par une lame invisible. Serrant les dents, elle souleva son arme avec effort. Son adversaire l’imita. Marie poursuivit : Las ! Ô combien la douleur était vive ! Ô combien la blessure infligée par Destinée était cruelle ! Tout autre eût fui sans attendre. Mais point n’était lâche l’Arc Blanc au pied agile. Lors reprit le combat, violent et sans pitié. A son tour l’ennemi blessa la fière Ylin. A son tour il souffrit des plaies de Destinée . Mais point ne le montra Douleur, qui se cacha sous son casque. Les lames vivantes sonnaient le glas ; Mort au noir cheval regardait. Les coups violents du Chef de Guerre Taciturne succédaient aux coups agiles de l’Arc Blanc. Le sang coulait à flots de plaies innombrables. 


Face à ce spectacle, Jérémie était paralysé ; il avait beau en avoir vu d'autres en tant que médecin, une telle quantité de sang lui donnait la nausée. De son côté, l’Autre observait en silence, très pâle. Et puis, il y avait aussi ce sombre Cavalier aux contours indiscernables, cette ombre que Marie avait apparemment invoquée pour emporter l’âme des deux adversaires. Marie écrivait toujours, avec violence, avec fièvre, avec fureur. Las ! Que de sang ! Que de pleurs ! Si grande était la souffrance d’Ylin et du guerrier, si terribles étaient leurs blessures, que leurs larmes coulaient ; et leur sang ruisselait. Plus ils s’acharnaient, plus ils souffraient, plus leur vie s’enfuyait. Leurs coups étaient plus lents ; ils étaient moins violents. Les lames mourantes sonnaient le glas. Mort au noir cheval attendait. 


« Marie ! protesta Jérémie. Arrête ! Tu ne pourrais pas changer leur destin ? Ne fais pas mourir Ylin ; sauve-la !
 – Je ne peux pas, répondit Marie, la voix brisée. Il est trop tard. Il faudrait que je modifie le manuscrit bien plus avant pour ça, et ce serait trop risqué. En prime, regarde un peu dans quel état elle est ! Même si je ne la faisais pas mourir en même temps que le Chef de Guerre, elle finirait par succomber. »
Baissant la tête, elle se remit à écrire, courbée sous le regard perçant du Cavalier, l’œil suppliant de son ami et l’attention inquiète de l’Autre.


Ainsi se battirent l'elfe de lune et son ennemi. Leurs mouvements étaient ralentis ; leurs membres étaient endoloris. O combien ils étaient las, les deux guerriers agonisants ! L’Arc Blanc n’eût pas su tirer ses flèches ; le Chef de Guerre n’eût pas pu mener ses troupes. Lors Ylin, moins athlétique, sentit ses forces l’abandonner ; dans son masque sanglant ses yeux semblaient éteints : nulle étoile n’y brillait plus, nul sentiment ne s’y lisait. Mais c’est de sa propre volonté qu’elle lâcha sa lame glaciale. Lors le guerrier, plus fort, sentit la joie l’envahir ; sous son heaume écarlate son regard s’alluma ; un feu brûlant y dansait : mille sentiments – dont le triomphe – s’y lisaient. Il leva son épée ; Mort leva sa faux ; et quand, frappée à la poitrine, l’héroïne chut, l'ennemi, agonisant, s’écroula. Les lames brisée s’étaient tues ; Mort au noir destrier s’en allait.


Marie laissa tomber son stylo plume. Jérémie et l’Autre, secoués, étaient incapables de réagir. Face à eux, les lupâos poussèrent un gémissement et se dissipèrent comme la brume des cauchemars au matin. D’Ylin et du Chef de Guerre Taciturne, il ne restait rien que la trace de leurs corps dans l’herbe tassée. Tout autour, ce n’était que silence. Le ciel de plus en plus blanc semblait aussi lourd aux trois jeunes gens que l’obscurité étouffante d’un tombeau.


Lentement, ils se détournèrent pour retourner chez Elisabeth et Louis.


« C’est fini, annonça Marie, l’air absent, en entrant dans leur salon.
– Fini, répéta Jérémie d'une voix blanche.
– Oui, murmura l’Autre. C’est fini, du moins en ce qui concerne la courageuse Ylin. Toutefois, nous ne l’oublierons jamais.
Les deux Observateurs les regardèrent avec compassion.
– Ne vous en faites pas pour elle ; c’est elle qui a choisi de mourir ainsi.
– Si seulement c’était vrai ! jeta amèrement Marie. Mais non ! C’est moi qui l’ai tuée, moi, moi seule ! Ah, comme j’aimerais revenir en arrière ! Comme j’aimerais annuler sa mort ! Comme j’aimerais la ressusciter ! Mais ce n’est pas possible…
– Ce n’est pas toi qui l’as tuée, contra M. Roseraie.
– Si, c’est moi !
– Non. Tu ne pouvais plus la contrôler. Ce n’est pas toi qui tenais le stylo ; c’est le stylo qui faisait bouger ta main. Et c’est à Ylin qu’il obéissait.
– Qu’en savez-vous ? contra la jeune femme.
 – Marie ! gronda doucement Jérémie. Reste polie ! Tu oublies à qui tu parles !
– Vous n’étiez pas là-bas, poursuivit Marie, indifférente à l’indignation de son ami. Vous n’avez pas vu le combat. Vous ne pouvez pas savoir !
– Tu oublies que nous sommes des Observateurs, remarqua Mme Roseraie. Nous voyons tout ce que nous désirons voir, et nous n'ignorons rien ce que nous voulons découvrir. Donc, nous savons qu’Ylin a compris que l’écriture ne pourrait rien. Du coup, elle s’est battue toute seule. Et comme tu l’avais destinée à mourir, hé bien, elle est morte ! Elle s’est sacrifiée de plein gré pour arranger les choses.
– Mais… Puisqu’elle devait mourir, elle ne l’a pas fait volontairement ? C’est impossible !
– Tu as bien vu que non ! Pour ma part, je suis convaincu de l’exactitude de leur version des faits, » rétorqua l’Autre.


Pendant un moment, il n’y eut aucun bruit. Chacun se taisait. A quoi songeaient-ils ? Qui sait ! Sans doute les Observateurs pensaient-ils à ce qu’ils avaient fait pendant le combat d’Ylin : quand ils avaient contacté les êtres pour qui ils travaillaient, ces derniers n’avaient pas perdu leur sang-froid. Des mesures avaient été prises pour rétablir la situation ; d’autres allaient être appliquées pour éviter tout ennui à venir.


Dehors, il se mit à neiger.


Quant à Marie, à l’Autre et à Jérémie, ils pensaient aux méfaits de l’écriture. Jamais plus Marie n’écrirait. Qui sait même si l’Autre créerait encore quelque chose ?


Petit à petit, la neige couvrait le macadam d’une dentelle fragile, comme pour faire à la terre une seconde enveloppe. Par la fenêtre, on voyait les étoiles neigeuses se coller au sol, se tenant par les branches pour y former une résille scintillante.


Alors, prenant conscience qu’il était temps de parler, Louis rompit le silence :
« Il faut que vous sachiez ce que nous ont dit ces... dieux dont on vous a parlé hier, commença-t-il. Nous ne sommes pas censés le faire, c’est vrai, mais étant donné qu'ils n’ont rien dit là-dessus et que, de toute façon, vous ne vous en souviendrez pas… Écoutez bien, tous les trois, car ça vous concerne tous. Ne m’interrompez pas, surtout : il ne nous reste plus beaucoup de temps pour parler de ça. Alors, voilà : les entités supérieures vont séparer les univers parallèles imbriqués. Comme ça, la brèche que vous avez ouverte dans l’univers va se refermer, et tout ira bien de nouveau. Et pour que de tels problèmes ne se reproduisent plus, vous allez tout oublier et vous n’aurez plus le pouvoir créateur. Même toi, Jérémie. Tu n’as jamais écrit, d’accord, mais tu avais le potentiel nécessaire, comme tous les êtres vivants de chaque univers. Lorsque vos livres seront finis, Marie, Monsieur, leur intrigue ne revivra pas à la lecture. Ils ne se répèteront que comme les souvenirs, qui font, entre guillemets, revivre le passé. Surtout si vous y mettez en scène les êtres qui dirigent tout. C’est compris ?
– Oui, mais…comment pourrons-nous oublier de telles choses ? demanda Marie. En plus, j’ai tout raconté dans mon livre...
– Rien ne leur est impossible, répondit Elisabeth. Quant à ton livre, tu croiras avoir tout inventé, simplement. – J’ai aussi une question, intervint l’Autre. Vous avez dit que les personnages de nos livres en cours ne vivront plus, une fois que nous les aurons achevés. Qu’en sera-t-il de nos travaux à venir ?
– C’est pareil. Ils ne seront qu’un amalgame de mots, qu’une unité de sens. Ils n'ouvriront plus une fenêtre sur un autre monde. Ils seront juste un récit. Ils n’auront donc rien de vivant, et du coup, ils n’auront aucun succès.
– Vous devriez partir, dit gravement Jérémie à l’Autre. A mon avis, vous n’allez pas tarder à vous retrouver devant votre manuscrit.
– Soit, mais où irai-je en attendant que je retrouve mon univers ?
– Peu importe, répondit Louis. Allez vers les montagnes, peut-être, pour prendre de l'altitude et vous rapprocher des étranges sphères qui flottent dans le ciel... Elles viennent de chez vous, non ?
L'Autre opina du chef.
– C’est exact... Bon... Puisqu'il faut y aller... Je vous remercie pour vos bons conseils en tout cas. Merci également pour avoir aidé au rétablissement de la situation. Je ne vous oublierai point. Adieu. »


Il adressa un sourire rassurant à Marie, échangea un hochement de tête avec Jérémie, salua Elisabeth et Louis. Enfin, il sortit dans le jardin ; mais au lieu de se diriger vers la montagne, il déploya ses ailes et s'envola vers les cieux avec un pincement au coeur. Rien ne serait plus pareil désormais... Un nouveau destin l'attendait.

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