Nouvelles et romans

dimanche 2 octobre 2011

C'était écrit - Chapitre V (1)

Fusion


Dans le monde réel


Quand Jérémie fut reparti, Marie fut incapable de se remettre à l'ouvrage. Ce bruit étrange qu'elle avait perçu la préoccupait bien plus qu'elle ne l'avait laissé paraître. Pour se changer les idées, elle décida de passer à autre chose. C'est alors qu'elle aperçut, sur le canapé, l'écharpe de son ami. Parfait, elle allait la lui rapporter sur-le-champ - sans compter que, sans vouloir se l'avouer, elle parvenait de moins en moins aisément à demeurer loin de lui.


Or, comme elle sortait de chez elle et verrouillait soigneusement la porte, elle entendit quelqu'un lancer :
« Mademoiselle ! Excusez-moi... »


Surprise, elle se retourna pour se retrouver nez à nez avec un homme d'âge mûr qui dégageait une aura surprenante, comme s'il s'agissait d'un être supérieur aux autres humains. Qui plus est, elle avait beau le scruter de haut en bas, elle ne parvenait pas à définir son physique précisément : était-il grand ? petit ? brun ? blond ? Quand elle fixait directement un détail de sa silhouette, c'était comme s'il se dérobait à elle.


« Excusez-moi, mademoiselle, répéta ce dernier. Vous êtes bien Marie, n’est-ce pas ?
– C’est possible, répliqua-t-elle avec défiance (qu’elle ne puisse voir à quoi il ressemblait l’exaspérait). Mais vous, monsieur, qui êtes-vous ?
– Je suis un écrivain, comme vous.
– Ah ? Mais encore ?
– Je vous ai créés, vous et votre ami, vous et votre famille, vous et votre terre enfin.
– Vraiment ? s’étonna-t-elle. Alors, vous n’êtes pas de ce monde ! C’est donc pour ça que je n’arrive pas à vous cerner !


L'Autre esquissa un sourire.
– Oui, c’est pour cette raison. Puis-je vous accompagner ? Nous parlerons en marchant.
– D’accord, allons-y.
Il marchèrent un instant en silence, puis :
– Que vouliez-vous me dire, Monsieur ? s’enquit poliment Marie.
– Je voulais vous parler de vous, de moi, de tous les écrivains et autres Créateurs de mondes. Nous sommes tous un peu cruels, ne croyez-vous pas ? Nous nous soucions si peu des sentiments de nos personnages.
– Mais nos histoires n’auraient aucun intérêt, autrement, non ? Enfin, vous avez raison. Et je ne pense pas qu’il soit facile d’accepter ça pour les êtres que nous créons.
– Je n’en doute pas ! D’ailleurs, je voulais m’excuser auprès de vous.
– Vous excuser ? répéta-t-elle, surprise. Pourquoi ça ?
– Je veux vous demander pardon pour avoir blessé votre frère. Voyez-vous, j’avais absolument besoin de vous détourner, provisoirement du moins, de vos projets de voyage dans l’imaginaire, parce que je craignais qu’ils ne fussent dangereux. Mais je me suis trompé, je pense. J’ai donc inutilement fait souffrir votre frère.
– Non. Vous aviez peut-être raison au sujet des risques. Jérémie s’inquiétait aussi, et…
– C’est moi qui ai exprimé cette inquiétude par sa bouche, corrigea-t-il. J’écrivais sa réplique, puis j’attendais la vôtre, ainsi que vous le faites quand vous parlez à votre guerrière.
– Si vous le dites. Il n’empêche que ce bruit bizarre…
– Un craquement comparable à celui que produit un mur qui se fissure ? interrompit-il vivement.
– Oui, acquiesça-t-elle gravement. Ca m’inquiète. Vous n’auriez pas dû faire comme moi. C’est trop dangereux, ces expéditions. Je crois que nous avons abîmer la trame de l'univers.
– Je vous l’accorde ; mais si, comme vous semblez le croire, ce bruit est lié à votre intervention dans un monde auquel vous n’appartenez pas, le mal était fait avant que je ne vienne, et ma visite ne changera rien à la situation.
– Mais, objecta-t-elle, votre... voyage pourrait aggraver ce mal !
– Nous verrons bien, répliqua-t-il avec un geste évasif de la main. Quoi qu’il en soit, je ne vois pas comment revenir en arrière : ce qui est fait est fait, pour le meilleur ou pour le pire. A présent, nous ne pouvons que nous préparer à assumer nos actes, au cas où la situation tournerait mal. »


Ils s’engagèrent alors dans l’allée qui menait à la demeure de Jérémie. Avant qu’ils n’atteignissent la porte, celle-ci s’ouvrit et le jeune homme s’avança à la rencontre de son amie, souriant. Cependant, en voyant qu’elle était accompagnée d’un inconnu, il s’arrêta net.
« Jérémie, je te présente notre créateur, annonça Marie, les yeux pétillant de malice devant l’expression de son ami.
– Vraiment ?! Ça alors, quelle surprise !
– N’est-ce pas ? Bon, tu nous laisses entrer ou pas ?
– Heu… oui, bien sûr. Excuse moi. Oh, et ne fais pas attention au désordre, mon cousin laisse tout traîner. 
– Toi aussi. Tu as oublié ton écharpe chez moi, tout à l'heure ; et c'est en venant te la rendre que j'ai rencontré... l'écrivain du monde supérieur au nôtre. »


Ils s'installèrent ensemble dans le salon. Erwan, le cousin de Jérémie, leur adressa un vague salut depuis le fauteuil où il était affalé, manette en main et le regard fixé sur l'écran.


« Voulez-vous boire quelque chose, monsieur ? demanda Jérémie à l’Autre.
– Volontiers. J'ai toujours rêvé de goûter aux boissons terrestres...Ceci dit, je crains que vous n’ayez guère le choix, en réalité. C’est moi qui écris ce dialogue.
– Ah oui, c’est vrai. J’allais oublier. »


Tous trois échangèrent un regard complice. Quant à Erwan, obnubilé par son jeu, il n'avait rien entendu.


C’est là que tout se détériora.

2 commentaires:

  1. Irréel mais ça doit être tellement génial d'avoir une telle discussion.

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  2. Oh oui ! J'aimerais bien en tout cas.

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