Nouvelles et romans

dimanche 2 octobre 2011

C'était écrit - Chapitre III (2)

Dans le monde réel


Le téléphone de Marie se mit à sonner. Elle posa son stylo en soupirant et consulta l'écran de son cellulaire. Sa belle-sœur ? Que lui voulait-elle donc ? Elles n'étaient pourtant pas en bon terme, toutes les deux...


« Allô, oui ?
– Marie ? C’est moi, Clémentine. Il faut absolument que je te parle.
– Que se passe-t-il ? Tu as l’air dans tous tes états, commenta la jeune femme en levant comiquement les yeux au ciel à l'intention de Jérémie.
– Marie, ton frère… Oh, c’est terrible !
– Oui ? Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? s’inquiéta Marie, cessant brutalement ses mimiques moqueuses.
– Mon pauvre chéri... mon adoré... si tu savais ce qu'il s'est passé, Marie ! Il... Oh là là ! Il a eu un accident, sanglota sa belle-sœur.
– Comment ça ? Quand ? Où ?
– Ce... cette nuit, en rentrant de l'usine, il... il... il a fait une mauvaise rencontre. Il est à l'hôpital, et c'est... c'est... pas beau à voir du tout. Oh mon Dieu, Marie, c'est horrible !
– J’arrive tout de suite ! s’écria-t-elle, affolée. Attends-moi, d'accord ? Nous irons le voir ensemble. »


Et elle raccrocha. Vivement, elle ferma son cahier et saisit son sac à main.


« Je dois partir, dit-elle précipitamment à son ami. Mon frère a eu un accident.
– Hé, attends-moi ! Je... »


Trop tard. Sans même attendre de réponse, elle était partie en trombe. Tout en s'engouffrant dans sa voiture, elle songeait à son cher frère, qui avait un caractère bien trempé mais qui, au fond, était serviable et généreux. Elle démarra sur les chapeaux de roue. Hors de question de traîner. Il était blessé, elle avait besoin d’être rassurée et d'obtenir des détails de Clémentine.


Marie roulait à tombeau ouvert.


Jérémie, de son côté, rejoignit lentement la bibliothèque. Après avoir choisi un livre, il se laissa tomber dans un des fauteuils. Il le feuilleta sans vraiment y penser, le regard dans le vague, soucieux pour son amie. Il la connaissait assez pour savoir que quand elle agissait sur une impulsion, elle commettait des imprudences.


Comme toujours quand il s'inquiétait pour elle, il décida de rendre visite à son oncle et sa tante. Ils n'habitaient pas loin, après tout. De plus, il y avait longtemps qu'il ne leur avait pas rendu visite. Il n'avait pas emprunté trois rues qu'il sonna à la porte d'une maison ancienne restaurée avec soin.


« Que se passe-t-il, Jérémie? Tu en fais une tête ! S'exclama son oncle, interloqué, quand il lui ouvrit la porte.
– Le frère de Marie a été agressé. Il est en observation, répondit tristement l’adolescent aux yeux gris. Elle a filé le rejoindre.
– Vraiment !? J’espère que ce n’est pas trop grave.
– Je ne sais pas mais vu son affolement, je pense qu'il est en triste état. J’appellerai tout à l’heure pour savoir comment il va.
– Ah. J'espère que ses inquiétudes sont exagérées et qu'il y aura eu plus de peur que de mal. Allons, suis-moi au salon. Nous n'allons quand même pas discuter dans l'entrée, hmmm ? »
Jérémie lui emboîta le pas et, sur son invitation, s'assit dans un confortable divan. C'est alors que parut sa tante, souriante et chaleureuse, comme toujours. Après l'avoir embrassé tendrement, elle s'assit en face de lui et déclara :
« On vous voit souvent ensemble, Marie et toi, ces derniers temps. Je croyais qu'elle
voulait terminer son roman le plus vite possible ?
– C’est vrai. Seulement… »


Jérémie hésita. Devait-il vraiment leur révéler la découverte de son amie ? C’était tellement incroyable qu’ils n'y croiraient sans doute pas. Et dans le cas contraire, ne serait-ce pas trahir la confiance de Marie ? Mais non, elle-même avait dit que si elle vouait une confiance absolu en quelqu'un dans ce monde, c'était bien en la tante du jeune homme.


« – Oui ? s’enquit cette dernière d'une voix douce.
– Seulement, elle a découvert que ses personnages vivaient. (Et voilà : il l’avait dit ; maintenant, il ne pouvait plus reculer, il faudrait tout raconter.)
– C’est tout ?
– C’est déjà pas mal. En tout cas, depuis qu'elle m'a confié ça, nous les observons.
– Ce n’est pas une découverte. Évidemment que les personnages des livres vivent, voyons !
– Ah !? Tu le savais déjà, tantine ? s'étonna Jérémie.
– Bien sûr ! Et pour preuve : ils vivent dans notre imaginaire au point que nous partageons leurs sentiments comme s’ils étaient réels. Tu n’as jamais eu cette impression en lisant ?
– Si, si ! Mais ils vivent vraiment ! Pas seulement dans notre tête, pas seulement sur le papier, mais dans un monde parallèle qui existe pour de bon ! Et ils sont aussi réels que vous et moi !
– Évidemment que l’imaginaire existe ! Bien sûr que ses personnages vivent dans notre imagination ! Il n’y a aucun doute là-dessus. Je suis d’accord avec toi.
Mais que t’arrive-t-il ? s’étonna-t-elle en voyant son neveu pincer les lèvres et soupirer.
– Rien, rien... Je te croyais plus ouverte d'esprit, c'est tout. »


Jérémie se leva.


« J'y vais. Je ne tiens pas en place avec ce qui est arrivé à son frère... Désolé de ne pas rester plus longtemps. Une autre fois, peut-être... »


Sa tante acquiesça en souriant. Elle comprenait fort bien ses inquiétudes pour en avoir ressenti de semblables pour son mari, autrefois... Tous deux attendirent que la porte d'entrée se fût ouverte et refermée, puis ils s'entre-regardèrent.


« Tu n’aurais pas dû te moquer de lui, Elisabeth.
– Moi, me moquer de lui ? Voyons, Louis ! Je protégeais la vérité. Tu sais très bien qu’il ne faut pas qu'il sache que les écrivains, cinéastes, concepteurs de jeux vidéos et autres sont les créateurs des mondes. Si un tel secret se répandait, …
– Il le sait déjà, l’interrompit son époux.
– Peut-être, mais il ne sait pas tout, et je préfèrerais que Marie et lui n’en découvrent pas plus. Car qui peut dire ce qu'ils inventeraient alors ?
– Si nous ne leur disons rien, ils risquent de le découvrir seuls. Et dans ce cas, il sera trop tard pour les avertir, objecta Louis. Le mal aura été fait.
– Je ne sais pas, répondit Elisabeth en hochant la tête. Je ne sais vraiment pas. Ça n’est jamais arrivé encore, que quelqu’un découvre tout ça. Jusque-là, les gens qui soupçonnaient quelque chose s’en tenaient au fatalisme ou à la religion. Quoi qu’il en soit, en tant qu’Observateurs, nous devons garder le silence. Nous en avons fait le serment. Donc, tu ne peux pas en parler à Jérémie. »

2 commentaires:

  1. Ah ! Le retour dans le monde réel... Que faut-il faire ? That is the question... C'est très bien cette histoire. Amitiés.

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  2. Je vois que tu suis toujours l'histoire... Ca me fait vraiment plaisir ! :)
    Amitiés.

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