Nouvelles et romans

dimanche 2 octobre 2011

C'était écrit - Chapitre III (1)

Expériences

Ailleurs

Dans un bruissement d'ailes, l'Autre atterrit souplement dans son jardin. Il revenait de sa promenade parfaitement serein et légèrement grisé par les sensations incomparables que le vol lui procurait ; néanmoins, il n'était pas mécontent d'être rentré. 

Sans plus attendre, il récupéra son manuscrit et s’installa dans le jardin. Il lui tardait de voir si Marie avait parlé à Ylin par l’intermédiaire d’un autre personnage de son récit. Il avait hâte de savoir lequel de ses héros elle avait manipulé. Bref, il lui était impossible de retarder plus longtemps la découverte du compte-rendu de cette rencontre indirecte.

Il ouvrit donc son cahier, y posa les yeux et se plongea dans la lecture des faits et gestes de sa protagoniste. Une minute durant, il demeura tout aussi immobile que les arbres bleutés qui l'entouraient : de même que seules leurs branches feuillues bruissaient dans la brise légère, seuls ses cheveux étaient agités par le zéphyr. Tout à coup, il laissa échapper un geste de stupeur. Médusé, comme lorsqu’il avait découvert que son livre s’écrivait seul en son absence, il lut et relut ce passage :
« Ben… En fait, je crois…, dit-elle lentement en pesant ses mots, je crois que… je veux la rencontrer. Pas lui parler à travers ses amis, non ; de toute façon ils sont tous morts. Je veux la rencontrer pour de bon. Une fois qu’elle aura appris tout ce qu’il faut de la Forêt des Mystères, bien sûr.
– Mais, s’exclama Jérémie, abasourdi, c’est impossible !
– Bien sûr que si, c’est possible ! Bon, évidemment, je ne peux pas me téléporter dans l’imaginaire, mais…il suffirait de créer un nouveau personnage qui soit moi ! Autrement dit, quelqu’un qui ait mon apparence, mon identité, ma personnalité. Tu ne crois pas ? »

Or, tandis qu’il regardait fixement la page de son cahier, paralysé, les doutes émis par Jérémie commencèrent à s'inscrire . Pour la première fois de son existence, il vit les lettres, les mots, les syntagmes, les phrases se former sous ses yeux sans l’aide de la plume ni de l’écrivain, aussi invraisemblable que cela lui parût. Il vit l’encre issue du néant tracer ces lettres, ces mots, ces syntagmes et ces phrases. Il vit la téméraire artiste en herbe poser le stylo sur la feuille, prête à partir dans l’imaginaire. Oh stupeur ! Comment était-ce possible ? Il n'en revenait pas. Pourtant, le doute n'était pas permis... Toujours est-il que, en dépit de son ébahissement devant un tel prodige, il se devait de réagir. Oui, s’il voulait avoir le loisir de se remettre de sa surprise et de réfléchir à la décision trop rapide de la jeune Marie, il lui fallait sans tarder contrarier la mise à exécution de ses projets téméraires. Tout aussitôt, il se mit à griffonner fébrilement, d’une écriture précipitée bien éloignée de la calligraphie soignée qu’il avait coutume de réaliser.

Enfin, lorsqu’il posa sa plume avec un soupir de satisfaction, il décida que si l’expérience de Marie réussissait, il suivrait son exemple. Néanmoins, au fond de lui, il ne pouvait s'empêcher de nourrir un soupçon d'appréhension.


4 commentaires:

  1. C'est magique, mais je comprends qu'il ait un peu d'appréhension...

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  2. Oui, on ne sait jamais ce qu'il peut advenir.

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  3. Comme promis je reprends la lecture de ton histoire et je vais jusqu'au bout ce soir :-).

    En tout cas, pour le moment, la reprise se fait avec plaisir. Et en plus j'ai découvert un mot ("syntagme") :p.

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  4. Huhu, j'avais oublié que j'avais placé le mot "syntagme"... Déformation de littéraire, je suppose. Ca me fait plaisir que tu reprennes la lecture de ce texte, en tout cas ! :)

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