Nouvelles et romans

dimanche 13 mai 2012

Nuit de remords

Nouvelle écrite le 15 mai 2011.


Dans sa petite chambre sous les toits, accoudé à son bureau, il se tenait la tête à deux mains. La seule source de lumière dans la pièce, une chandelle de suif dont la flamme vacillait, ourlait son profil acéré d'une fine ligne de lumière et jetait dans la pièce des zones d'ombres mouvantes qui semblaient en accord avec l'humeur sombre du jeune homme.


"Qu'est-ce que j'ai fait, m..., qu'est-ce que j'ai fait, m..., qu'est-ce que j'ai fait ?" 


Sa voix débordait d'amertume et de ressentiment envers lui-même. Il serra les poings, releva la tête. Ses yeux brillants d'émotion flamboyaient dans la pénombre, et sa large poitrine se soulevait et s'abaissait par saccades. Un portrait photographique accroché au mur retint son attention, son portrait à elle... Elle, si charmante, si gracieuse, si vive avec ses grands yeux pétillants d'innocence et son sourire ensoleillé... Elle, à qui la lueur de la bougie semblait apporter un peu de vie ; elle qui avait fait battre son cœur ; elle qu'il avait trahie. Il revoyait son expression incrédule, il entendait encore résonner son rire nerveux entrecoupé de sanglots discordants, et chaque fois qu'il fermait les paupières, il revoyait, imprimé à blanc dans son souvenir, ses yeux qui exprimaient l'amour, la douleur et le reproche le plus violent. 


"Connais-tu Giselle ? avait-elle demandé alors, avec un sourire fiévreux entaché de folie. Je vais bientôt la rejoindre, et danser comme elle avec les Willis. Mais contrairement à elle, je ne te sauverai pas de leur vengeance, oh non !" C'était les dernières paroles qu'elle lui avait adressé. Il n'avait rien compris alors, s'était dit que la fièvre la faisait délirer. Mais elle était morte une semaine après. Et puis, il y a peu, il avait par hasard découvert que ses mots faisaient référence à un ballet classique. Il était allé le voir à l'opéra ce soir même, et à présent, effondré, il regrettait amèrement de l'avoir abandonnée ainsi pour une autre femme plus riche et moins spirituelle. Le vent se mit à gémir, faisant craquer la fenêtre et frémir la flamme de la bougie. Le jeune homme se leva, frissonnant, pour fermer l'épais rideau de la lucarne et conserver un peu la chaleur du grenier. Un instant, il crut entrevoir le pâle visage de son premier amour dans le reflet de la vitre, mais il balaya rapidement cette vision - la fatigue et le regret devaient en être cause. A propos de cette autre femme... son épouse... pourquoi ne l'avait-elle pas déjà appelé pour le dîner ? D'ordinaire, elle hurlait son nom à travers toute la maison à neuf heures précises : "Albrecht ! Encore dans ce fichu grenier, je parie ? Viens manger, grouille !"


Il haussa les épaules. Aucune imporance, après tout. Après leur violente dispute au sortir de l'opéra, où elle lui reprochait - à raison - de toujours penser à "l'autre", à "la morte", il préférait passer la soirée seul et dormir ici, dans ce grenier plutôt que dans la chambre conjugale. Sans même éteindre la chandelle agonisante, le jeune homme se glissa entre les draps du lit d'appoint en soupirant. Seulement, ses pensées, ses remords tardifs l'empêchaient de sombrer enfin dans un sommeil réparateur. Il ferma les yeux, les rouvrit tout soudain en entendant craquer l'escalier.


Presque aussitôt, le sifflement du vent émit une longue plainte à travers l'isolation de la lucarne, faisant imperceptiblement bouger le rideau. En tournant la vue de ce côté, Albrecht se figea : le portrait, au mur... il avait cru le voir cligner des yeux ! Cependant, le phénomène ne se renouvela pas, et il laissa ses poumons se vider, soulagé. Evidemment, c'était stupide ! La flamme mourante et rougeoyante de la bougie était à accuser, forcément !


De nouveau, un craquement se fit entendre, mais sur le palier, cette fois. Son épouse, peut-être, qui venait se réconcilier avec lui ? Mais non, plus rien, si ce n'est la tempête furieuse qui dansait la sarabande à l'extérieur, dans la nuit. A tout hasard, il se leva et ouvrit la porte, mais il n'y avait rien là que l'obscurité épaisse et silencieuse. De retour sous les couvertures, il vit la chandelle s'éteindre ; un point rouge lumineux, seul indice de sa position, demeura longtemps avant de disparaître, laissant notre homme dans le noir complet. 


Complet ? Non, pas tout à fait : qu'était cette forme blanche qui sortait de derrière le rideau ? Gracieuse, mais le regard vide et le sourire éteint, elle semblait à peine toucher le sol ; sa bien-aimée, la seule, l'unique amour de sa vie, celle qu'il n'aurait jamais dû trahir glissait vers lui. Rêvait-il enfin ? Était-il éveillé, en proie à l'hallucination ? Qu'importait. Comme sa belle se penchait sur lui, il murmura son nom, il entendit le sien. Puis, tandis que l'amour longtemps étouffé réchauffait son cœur, l'étreinte glacée de la morte enveloppa son corps. Il sentit ses lèvres de pierre se poser sur son cou, ses dents effleurer la peau tiède sous laquelle la jugulaire battait. Peut-être ne rêvait-il pas, après tout.

4 commentaires:

  1. belle histoire, bien écrite. J'aime beaucoup l'ambiance qui émane de ton texte. J'étais dans ce grenier moi aussi, transparente, à regarder la scène et ressentir lire les pensés de cette homme. Heureuse que finalement elle revient, et oublis sa colère.
    bises
    fée

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  2. L'histoire en elle-même est intéressante cependant je trouve le récit un peu confus à moins que ce ne soit dû à l’excès de détails. Je ne sais pas mais bon pour une fois je t'avoue que je ne suis pas fan :x.

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  3. Ce doit être parce que le récit mêle deux temps, si je puis dire : le présent, quand le jeune homme, seul dans son grenier, ressasse son chagrin et le passé, quand il a abandonné son premier amour et qu'elle l'a maudit.

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  4. Très beau Eryndel. Je replonge avec joie dans ton univers, qui me touche beaucoup. Bisous de ta vieille amie virtuelle.

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