Nouvelles et romans

lundi 6 août 2012

Fleur de montagne

"Dis, maman, parle-moi encore de la montagne..."

La petite voix douce résonnait encore à l'oreille de Laura tandis qu'elle fixait sans la voir sa fille désormais muette. L'enfant paraissait encore plus fragile, avec son teint diaphane et ses yeux éteints ; et pourtant, quelle sérénité sur ce visage de porcelaine pétrifié par le dernier sommeil !

"Dis, maman..."

Laura soupira et, d'une main tendre, ferma les paupières de la défunte si jeune - trop jeune !

"Les montagnes ? Ah, si tu pouvais les voir... Lever la tête vers leurs sommets immortels, te perdre sur leurs flancs majestueux, plonger les yeux vers les fils d'argent qui coulent dans leurs vallées en contournant des villages de poupées... Là-haut, le temps ralentit et s'arrête, là-haut, la civilisation humaine est soumise aux lois de la nature encore toute puissante, là-haut, on se sent éternel et insignifiant tout à la fois." 

 Comment se sentait la petite, à présent ? Son âme contemplait-elle la terre d'encore plus haut que les plus hautes cimes ou bien ne restait-il plus rien de la fillette aimante et maladive que Laura avait entouré de tout son amour ? 

"Maman, parle-moi encore de la montagne... Raconte-moi la neige, raconte-moi les fleurs qui poussent entre les rochers et les torrents qui jaillissent sur les sentiers."

Une larme perla entre les cils de la mère, tandis qu'elle répondait à la morte à mi-voix : "En été, les sentiers rocailleux sont parfois difficiles à emprunter, parce qu'une avalanche de rochers les a effacés ; les cailloux roulent traîtreusement sous les pieds, et l'on manque mille fois de se rompre le cou ; mais juste après avoir passé ce danger, lorsqu'on s'arrête pour reprendre son souffle, on est ébloui par la beauté du paysage... et encore, le terme "beauté" n'est pas assez fort pour décrire le caractère unique, ensorcelant, majestueux et imposant du paysage de montagne. Alors, on reste un peu sans bouger, pour s'habituer au vertige qui nous prend, et c'est là qu'on se rend compte de la vie qui nous entoure, fleurs modestes ou colorées, insectes étincelants et papillons pimpants.

Puis le grondement grave de la montagne naît dans le lointain, résonne, grave et solennel comme celui d'un orgue dans une cathédrale. Il se met à neiger car ce n'est plus l'été, mais l'hiver et l'on enfonce dans cette froideur blanche jusqu'à la hanche. Tout est froid, tout est figé mais la pierre vit et parle ; partout et nulle part roule la voix sépulcrale des glaciers. On se sent seul, si seul alors... Pourtant, on ne voudrait pour rien au monde se trouver ailleurs. Tout comme on ne voudrait pas perdre la vie malgré les dangers et les épreuves qu'elle peut nous imposer parfois."

Laura remonta le drap immaculé sur la face froide de sa fille, sa pauvre fille qui aurait tant voulu voir ces merveilles et se plonger dans l'atmosphère fascinante des massifs enneigés.

 "Maman, tu m'y emmèneras, dis ? Un jour, quand je ne serai plus malade ?
- Oui. Je te le promets." 

A présent, l'enfant allait être enterrée dans la montagne - la mort l'avait guérie, à sa façon, alors il fallait que Laura tienne sa promesse. Plus tard, quand elle reviendrait sur la tombe de la petite, elle y trouverait des fleurs délicates au teint de neige, comme sa fille ; des fleurs incapables de s'épanouir dans les plaines, comme la morte ; des fleurs de montagne qui portaient le même nom qu'elle : Edelweiss.

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