Nouvelles et romans

lundi 6 février 2012

Lumi

Au-dessus d'elle, la neige tourbillonnait, pétales immaculés tombant du ciel en spirale gracieuse. Le sourire aux lèvres, les cheveux défaits, le visage tourné vers les nuages blancs aux reflets gris, elle se mit à tourner, elle aussi, mais sur elle-même, les bras levés. Son rire cristallin s'envola à la rencontre des flocons.

"On n'peut rien faire pour elle ?"

Depuis la fenêtre, la jeune fille était observée par son oncle Stan et par sa mère.

"Non, rien... soupira cette dernière. Les médecins sont impuissants. Tout ce qu'ils m'ont proposé, c'est de l'interner. Je m'y refuse. Ma Lumi, dans un asile ? Jamais !
- Ca s'comprend... Et depuis quand est-ce qu'elle est...?
- Folle ? Ne prends pas cet air-là, il faut appeler les choses par leur nom. Mais, pour te répondre, tout a commencé quand elle s'est mise à faire ce cauchemar... Toujours le même..."

Vent froid. Si froid... si froid que ses doigts bleuissent et saignent, si froid qu'elle ne sent plus son visage. Tout à coup, un cri dans le lointain. Un cri plein de détresse. Un cri plein de souffrance. Le sien, à elle, mais hors d'elle, loin d'elle. Elle essaie d'y répondre, mais de sa bouche ne sort que la bise glacée, brûlante. Glacée au point de faire éclater ses dents, au point de rendre sa langue insensible et figée. Elle tente de serrer les mâchoires, en vain.
Froid... Il lui semble que sa gorge gèle, que ses poumons gèlent, elle suffoque. Petit à petit tout son corps endolori brûle sous l'effet du froid.
Froid... Et tout à coup, alors qu'elle n'est plus qu'une statue de glace qui éclate de toutes part sous l'effet de la tempête furieuse qui fait rage en elle, retentit le chant d'un oiseau, très loin, puis plus près, encore plus près. Alors le vent s'apaise, une douce chaleur vient vaincre la neige et la transformer en pétales de fleurs... 
Printemps. Mais le soulagement n'est que de courte durée. Elle s'aperçoit qu'elle fond... Pas seulement la glace qui l'enferme dans une gangue étincelante, non. Son corps lui-même se liquéfie. Et dans un hurlement, elle tente de se débattre et de lutter.

"A ce moment-là, Lumi se réveille systématiquement en sueur. Au début, elle n'y faisait pas attention. Elle savait que ce n'était qu'un mauvais rêve... Mais petit à petit, son comportement a changé. Elle s'est mise à redouter le froid, séchant les cours dès que la température avoisinait 0°C...
- C'était pas un prétexte pour rien faire, par hasard ?
- Oh, non ! Elle a toujours aimé étudier. Je devais même l'empêcher d'aller à la fac quand elle était tremblante de fièvre tant elle aimait apprendre. Mais, maman, disait-elle, je ne peux pas rater ce cours sur la poésie de Mallarmée, c'est tellement passionnant, la littérature symboliste ! "

La mère de Lumi marqua une pause. Dehors, sa fille tournait de plus en plus vite comme la neige s'intensifiait.

"Mais, reprit l'oncle Stan, elle a pourtant pas l'air frileuse, là ! Regarde-la donc !
- Oui, soupira son interlocutrice. Mais c'était la première étape. La deuxième, c'est que... une fois persuadée de retourner à la fac, elle s'est mise à craindre que la chaleur ne la fasse fondre, comme dans ce cauchemar qui la hantait toutes les nuits. C'est le manque de sommeil qui la rendait folle, je crois ! Car ce rêve la terrifiait tellement qu'elle n'osait plus dormir. A la place, elle se forçait à passer des nuits blanches, se plongeait dans ses livres, à étudier encore et encore.
- Pas étonnant qu'elle ait craqué, oui !
- C'est sûr... Quand la fièvre l'a prise à  cause de ses insomnies, elle s'est mise à répéter qu'elle allait fondre. Un matin, quand je suis entrée dans sa chambre, il faisait si froid que son souffle formait de la buée dans l'air. Elle avait éteint le chauffage et ouvert la fenêtre pendant la nuit... J'ai bien essayé de la refermer et de rallumer le radiateur  mais elle m'en a empêché, elle est devenue menaçante, même !
Le médecin l'a mise sous calmants. Depuis, elle se montre docile et n'essaie plus de transformer sa chambre en glacière mais cela ne l'empêche pas de passer le plus de temps possible dehors quand il fait froid... Pour ne pas fondre, maman, tu comprends, me dit-elle sans arrêt.
- Mais au printemps, elle va bien s'rendre compte qu'elle s'trompe ? Si ça tombe, ça va la guérir de sa lubie...
- Espérons-le ! Bon, je te sers un thé ?"

Là-bas, dans le jardin immaculé, Lumi tournait, tournait sous les flocons blancs, insouciante. Etait-ce bien de la neige qui s'accrochait dans ses cheveux épars ? Non... Elle ne pouvait le croire, car le froid avait cessé. Au contraire, il faisait doux. Finie la sensation d'avoir les doigts raidis et le nez gelé. Il lui semblait que le ciel irradiait d'une douce chaleur tandis qu'elle tournait, tournait en contemplant les pétales parfumés qui tombaient sur elle. Au loin, le chant léger d'un moineau. C'était le printemps... Ou alors l'été, peut-être ? Car sa peau la brûlait à présent. Son souffle desséchait ses lèvres ; ses poumons, sa gorge se consumaient. Son cauchemar était trompeur : elle ne fondait pas, elle prenait feu ! Elle avait beau retirer son manteau, son pull, son maillot de corps, les flammes invisibles étaient impitoyables. Et le monde tournait si vite...
Quand son oncle et sa mère, après leur tasse de thé, vinrent la rejoindre, il était trop tard. Son corps bleui était étendu dans la neige, sans vie.

10 commentaires:

  1. Terrible, mais fascinant, ce "monde de Lumi" ! Bravo pour ton imagination et la maîtrise de ton écriture ! Bien amicalement.

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  2. Merci ! Moi qui craignait que ce soit raté... Je ne savais pas trop quoi écrire quand j'ai rédigé ce texte, hier.
    Amitiés

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  3. Très belle histoire,j'adore, fascinante, imaginative. Je suis trés admirative de tes textes, tu as vraiment une belle plume, tu devrais écrire des livres
    Amitié

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  4. Merci Prisca ! J'y ai déjà pensé", mais... dur de trouver le courage de le faire !
    Amitiés.

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  5. Tres bien , félicitation
    Ps : bon rétablisement

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  6. quelle merveilleuse imagination , une belle histoire d'une fée des neiges ensorcelée par le froid

    un sourire de Line

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  7. J'aime bien cette petite nouvelle , dans ce froid glacial

    Je suis content de retrouver ton blog , ces temps-ci je suis débordé

    Douce journée ERYNDEL

    Bisous

    timilo

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  8. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  9. Je suis contente aussi, il y a longtemps que je n'avais pas eu le temps de passer sur la blogosphère.
    Une belle journée également.
    Amitiés

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