Nouvelles et romans

vendredi 27 janvier 2012

Aimer

Nouvelle rédigée le 7 décembre 2010.


Aimer c'est savoir pardonner
Accepter les défauts
C'est savoir partager fusionner
 De corps et d'âme
Aimer c'est savoir se comprendre
S'accorder se confondre
C'est savoir s'écouter s'entendre 
De corps et d'âme. 


Tandis que Marie contemplait la mer, les vagues lui chantaient cette chanson troublante. Les paroles étaient parfaitement audibles, comme si les flots qui caressaient les rochers en contrebas avaient pris vie. Cela n'inquiétait pas la jeune femme : il y avait belle lurette qu'elle s'était accoutumée à ce curieux phénomène.


Chaque fois qu'elle se mettait à sa fenêtre, la nuit, les eaux tumultueuses s'adressaient à elle et chantaient des légendes marines, faisant revivre pour elle des temps anciens où les sirènes n'étaient pas que des mythes, où l'amour parfait existait, où la fameuse Atlantide éblouissait encore le monde par sa splendeur et sa puissance... et ce depuis son enfance.


Lorsqu'elle avait entendu la mer lui parler pour la première fois, elle l'avait raconté à ses parents, les yeux brillants d'un éclat fiévreux qui les avait inquiété. Comme c'était alors une fillette d'à peine huit printemps, ils lui avaient gentiment demandé ce que lui racontaient les vagues ; mais malgré son jeune âge, elle avait compris, au ton faussement intéressé de leurs voix, qu'ils ne la prenaient pas au sérieux. Elle n'en avait donc plus parlé, et avait continué à venir au même endroit, le soir, sur la falaise, écouter le chant mélodieux des flots.Les années passant, tandis que l'enfant devenait femme, les contes et légendes étaient devenus poèmes d'amour murmurés doucement par l'écume, comme ce soir.


Cependant, cette fois, il y avait quelque chose de différent dans l'intonation des flots, une mélancolie imperceptible qui surprit Marie. Quand la mer se tut, la jeune fille se pencha, ses mains fines appuyées sur le bord de la falaise, ses cheveux soyeux d'un blond lunaire cascadant autour de son doux visage. "Vagues aimantes à la voix murmurante, quelle sombre amertume perturbe votre voix ?" demanda-t-elle, adoptant sans s'en rendre compte le langage archaïque de la mer sans âge.
"Marie, enfant de la terre ferme, tu vas bientôt me délaisser pour un être de ta race. Un jeune homme, aimable, aimant et amoureux de toi.
- Oh ça, jamais ! s'écria la belle. J'en fais le serment : je me jetterai dans les flots plutôt que vous trahir !
- Prends garde, chère Marie ! Tu partages avec moi un caractère changeant... Prends bien garde de trahir ton serment... car alors je viendrai te le rappeler ; et si tu ne te précipites pas dans mes vagues après l'avoir rompu, je viendrai te chercher..."


Puis la mer s'était tue, et la jeune fille était rentrée chez elle, l'esprit agité de mille pensées. Le lendemain, voilà qu'on sonne à la porte. Comme toujours, Marie devança ses parents pour ouvrir, car comme d'habitude, elle était au rez-de-chaussée et eux, à l'étage. Du fait qu'ils travaillaient à domicile, ses parents n'avaient que peu de contact avec l'extérieur et les seuls qui vinssent chez eux étaient le facteur ou un livreur d' UPS, pour les pièces d'ordinateur dont avait besoin son père afin que son pc soit toujours à la pointe de la technologie - chose primordiale dans son emploi.


Cette fois-ci, cependant, ce n'était ni un livreur ni le facteur. Sur le perron se tenait un jeune homme de son âge, à peine plus grand qu'elle, aux cheveux aussi noirs que les siens étaient pâles, et aux yeux gris-verts aussi profonds que la mer.
"... et je voulais savoir si vous l'aviez vu dans l'coin, du coup.
- Pardon ?


Elle sursauta. Absorbée par son examen du bel inconnu, elle n'avait pas écouté un mot de ce qu'il lui disait.


- Excusez-moi, rougit-elle, j'avais la tête ailleurs. Pourriez-vous répéter ?
Il rit, embarrassé lui-même.
- Ce... C'est rien, lança-t-il timidement.
- Non, ce n'est pas rien... J'aurais dû vous écouter. Que disiez-vous ?
- Ben... J'disais que j'ai perdu mon chat. J'ai emménagé hier dans la maison, là-bas, à cent mèt'd'ici. Et comme la porte était ouverte à cause des allées et venues pour ramener les meubles à l'intérieur, le chat, il en a profité pour se barrer. Vous l'avez pas vu, par hasard ?
- Non, mais mes parents et moi, nous sortons très peu.
Le visiteur baissa la tête, attristé.
- Si vous voulez, ajouta Marie, je peux vous aider à le retrouver ?
Le visage du garçon s'éclaira.
- D'accord. Ben... merci.
- De rien ! C'est normal..." sourit la jeune fille, radieuse et attendrie par la gaucherie du malheureux.


Ils cherchèrent longtemps, et finirent par le retrouver perché dans un arbre, dans le parc. Trop prostré pour réagir, il ne fit aucun effort pour aider les jeunes gens à le récupérer. Mais enfin ils y parvinrent et le jeune homme, souriant, serrant le félin soulagé dans ses bras, dit à Marie : "Merci encore pour votre aide ! Vous voulez venir chez moi pour prendre un thé, quelque chose ?
- D'accord, répondit-elle, mais pas sans connaître votre nom, ou au moins votre prénom.
- B...Baptiste.
- Marie.
Ils se sourirent.
- Hé bien ! Maintenant que je connais votre prénom, je peux accepter votre invitation."


Ils passèrent une après-midi merveilleuse et, quand Marie reprit le chemin de la falaise d'un pas léger et le coeur en fête, ils étaient amis.


Le soleil se couchait... aussi la jeune fille se dirigea aussitôt vers le point culminant du plateau, là où elle venait toujours écouter la mer. A peine s'était-elle assise à sa place quotidienne que la voix des flots s'éleva. "Marie, enfant de la terre ferme, aujourd'hui tu as commencé à trahir ton serment. Prends garde !
- Que dites-vous là, mer soupçonneuse ? Le garçon avec qui j'ai parlé n'est qu'un ami !
- Un ami à qui tu pardonnes le langage familier et la timidité, un ami dont tu acceptes la gaucherie... Tu as commencé à l'aimer, enfant, quoique tu puisses penser de tes sentiments.
 - Mais mon coeur ne fusionne pas avec le sien...
- Pas encore... Mais n'oublie pas que tu es en grand péril si cela devait arriver. Par ton serment, tu es mienne. Car je t'aime, belle Marie, mes pensées et mon coeur sont toujours avec toi ; je suis sans cesse à l'écoute de ton âme, et je te comprends assez pour savoir que tu risques de tomber dans les rets de ce jeune homme de la terre ferme. Qu'importe, je te pardonne, pourvu que tu te rappelles ce que tu devras faire en cas de manquement à ton serment."
Marie et la mer parlèrent peu, ce soir-là, l'une écoutant le reflux des vagues, l'autre attentive aux battements d'un coeur qui découvrait les douceurs et les amertumes de l'amour sans s'en rendre vraiment compte encore...


Le temps passa. Au fil des jours, Baptiste et Marie devenaient inséparables, et les flots de plus en plus gris, qui continuaient à enivrer la jeune fille de leurs poèmes au rythme lent, devenaient plus amers, plus agités aussi. Et puis... vint le moment inévitable où le jeune homme timide, prenant son courage à deux mains, déclara sa flamme à la jeune fille aux cheveux de sirène. Marie se sentit rougir, et son coeur accéléra. Paniquée par ce fait inattendu, étonnée par l'envie de sourire bêtement qui la prenait soudain et affarée à la pensée de ce que pourrait penser la mer, elle ne put que balbutier des propos inaudibles avant de s'enfuir vers les falaises, poursuivie par les appels de Baptiste, interloqué et malheureux de sa réaction.


Debout face à la mer, Marie put enfin se calmer, inspirant à pleins poumons les embruns marins réconfortants.


"Marie, enfant de la terre ferme, tu trahis mon amour...
Les vagues frappaient violemment la roche, en contrebas.
- Que nenni ! protesta la blonde demoiselle. Je n'ai pas répondu à sa déclaration.
- Justement... tu avais peur de la réponse, enfant, et tu as souri intérieurement. Tu l'aimes... tu as trahi ton serment.
Marie rougit et baissa la tête, malheureuse. Elle savait que c'était vrai, même si elle niait l'évidence : elle avait beau résister de toutes ses forces, l'amour du jeune homme aux yeux gris-vert l'avait profondément atteinte, et elle partageait ses sentiments. Et pourtant, elle aimait la mer, aussi...
- Rappelle-toi ton serment, Marie..."


Alors la jeune fille, paupières closes, leva les bras et plongea ; la mer enfla en grondant, et une vague plus haute, se fracassant contre la falaise, cueillit le corps frêle qui chutait.

9 commentaires:

  1. UN MAGNIFIQUE TEXTE! Fascinant, c'est une mer qui bat sur les rochers, aux rythme du cœur de la jeune fille.Un cœur océan fait des flots de larmes, celles que versent les sirènes

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  2. Merci Prisca ! La mer ne pouvait qu'inspirer l'amour, elle qui a vu naître Vénus...

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  3. Merci ! Décidément, je crois que je vais me remettre à écrire plus souvent.

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  4. Comme c'est beau Eryndel ! J'aime ton monde. Merci pour cette superbe histoire. Grosses bises.

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  5. De rien Cacao ! C'est moi qui te remercie de ton passage.
    Amitiés

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  6. Rha j'adore ce genre d'histoire :-) Et c'est là, que sacrifiant son amour pour un jeune homme, elle devint sirène, femme au cœur d'eau qui faisait rêver marins et badauds, enivrant de son chant l'amour immortel de cette nature immatérielle issu d'un amour naissant.

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  7. Qui sait ? Libre au lecteur d'imaginer si elle survit ou se transforme après sa chute de la falaise...
    Heureuse que ça te plaise ! :)

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