Le regard de la mère s'emplit d'amour et son visage tiré s'éclaira brièvement d'un sourire. Perséphone était malade, gravement malade, même, mais elle faisait de son mieux pour ne pas le montrer à son fils bien-aimé. Cependant, l'enfant voyait bien à ses traits fatigués et à l'aspect terne de ses longs cheveux noirs mêlés de gris qu'elle n'était pas dans son état normal ; sans doute était-ce à cause du froid, pensait-il, qu'elle lui paraissait si faible, si triste et si vulnérable. Lui, au contraire, était en pleine forme : ses yeux lumineux et confiants, ses cheveux brillants et ses joues roses contrastaient avec la mauvaise santé de Perséphone.
"Avant la Troisième Guerre, commença-t-elle, quand les hommes vivaient dans des villes pleines de lumière et que rien encore ne pouvait vraiment troubler leur bonheur, on fêtait le solstice d'hiver et la naissance d'un dieu tous les ans, à la même date qu'aujourd'hui. Dans les maisons et sur les façades, on plaçait de nombreuses décorations : des guirlandes scintillantes, des boules aussi brillantes que des étoiles et partout, partout, des lumières de toutes les couleurs. On mangeait un repas délicieusement chaud, puis les enfants ouvraient leurs cadeaux.
- Leurs cadeaux ? Qu'est-ce que c'est ? interrompit Nathan.
- Des jouets fabuleux, qui n'ont rien à voir avec la petite branche de fer que nous échangeons encore de façon symbolique tous les ans. Ces jouets ne servaient pas à commémorer l'époque d'avant, non ; ils servaient juste à se faire plaisir les uns aux autres, à répandre la joie autour d'eux.
- La branche de fer que nous nous donnons chaque année, que représente-t-elle, dis, Maman ?
- Elle symbolise tout ce qui est mort aujourd'hui : elle symbolise la végétation, les arbres qui autrefois étaient couverts de feuilles vertes au lieu d'être noirs et secs comme aujourd'hui. On raconte qu'un jour, l'une d'elles, plantée par un enfant, fera renaître la nature ; et c'est pour cela que tous les ans, nous offrons et plantons ces branches."
Nathan allait poser une autre question, mais sa mère, d'un geste las, l'en empêcha.
"Je suis fatiguée à présent, murmura-t-elle. Va planter ta branche de fer et reviens te coucher tout doucement, sans faire de bruit ; je dormirai probablement déjà."
Le garçon l'embrassa affectueusement puis sortit de l'abri de béton fissuré dans lequel ils se protégeaient du froid et des intempéries.
Dehors, tout était silencieux. La bise elle-même se taisait, contrairement à son habitude et le ciel, découvert, offrait aux regards des myriades d'étoiles lumineuses et froides. Leur ressemblaient-elles, les décorations d'antan ? se demandait l'enfant. Il essaya, en vain, de se représenter pleines de joie, de chaleur et de lumière les villes aujourd'hui réduites en ruines squelettiques où seul le vent faisait entendre sa voix. Mais ce qui l'intriguait le plus, c'était la description des arbres faite par sa mère. Il en avait vu un, une fois. Pas un vrai, non ; une image, dans un vieux livre d'enfant déchiqueté qui traînait dans la rue d'un village mort qu'ils avaient traversé ensemble. Ses branches étaient couvertes d'aiguilles vertes qui lui donnaient un aspect conique. En face, des bribes d'une chanson se devinaient encore. Elle parlait d'un sapin, roi des forêts... Et si c'était cet arbre majestueux qui devait renaître à la vie grâce aux branches de fer qu'on s'offrait à Noël ? Et si... ?
Intrigué, un peu influencé par l'aspect inhabituel de cette nuit étrangement paisible, Nathan se dirigea vers un bosquet d'arbres morts tout proche. D'ordinaire, leur aspect décharné l'effrayait et il évitait de passer entre les arbres la nuit ; mais là, sous la lumière éclatante de la lune, il se sentait empli de courage. Leurs branches noires ne l’inquiétaient plus, leurs ombres dessinées au sol par l'astre nocturne l'emplissaient d'admiration.
Il parvint au centre du bosquet.
Là, devant ses yeux émerveillés, un arbre plus haut que tous les autres s'élevait majestueusement. Bien qu'il fût aussi dénudé, aussi squelettique que les autres, il ne semblait pas effrayant mais bienveillant. Nathan s'approcha de lui et, comme attiré par l'arbre, posa sa main sur le tronc rugueux. Il lui sembla alors entendre les bribes d'une chanson - une chanson qui parlait d'un sapin, roi des forêts... et si c'était là que la nature pouvait renaître ? L'enfant en transe s'agenouilla devant l'arbre, creusa le sol entre ses racines et y enfouit sa branchette de fer avec soin.
Tout à coup, le chant qu'il croyait percevoir s'enfla et l'arbre majestueux fut enveloppé d'une lumière dorée. Ébloui, Nathan ferma les yeux. Quand il les rouvrit, le sapin était couvert d'épines d'un vert sombre et son tronc noirci avait pris une couleur d'un brun chaud et doux.
"Merci, Nathan", murmura une voix douce comme celle de sa mère.
Intrigué, il regarda autour de lui, persuadé que Perséphone était dans les environs. En vain. Elle n'était pas là. Cependant, à côté de l'arbre plein de vie, une silhouette de femme se devinait ; et elle aussi lui faisait penser à sa mère.
"Qui êtes-vous ? demanda-t-il, avec respect.
- Je suis l'esprit de ce sapin que tu as fait revivre ; je suis une dryade. Longtemps j'ai été emprisonnée dans le corps d'une humaine ; quand celle-ci mourait, je changeais de prison. La dernière était ta mère. En sauvant l'arbre, tu m'as sauvé : car Perséphone était mourante et avec elle, ma vie se serait éteinte aussi. Mais grâce à toi, la Terre va refleurir et se couvrir de verdure.
- Et ma mère ? s'inquiéta Nathan. Qu'est-elle devenue ?
- Hélas, il est trop tard pour elle... Elle ne pouvait survivre longtemps en m'ayant pour hôtesse. Mais sa mort n'a pas été vaine, puisque la Nature va renaître grâce à elle - et grâce à toi, son fils, qui étais destiné à mettre fin au long hiver qui paralysait le monde. Sèche tes larmes, Nathan ; et viens avec moi. Je te servirai de mère à mon tour et je te prodiguerai une longue vie."
Bien que profondément affligé par la mort de Perséphone, Nathan accepta l'offre de la dryade. Avec son aide, il parvint faire revivre la végétation verdoyante d'avant la Troisième Guerre ; les rares hommes qui, dans les environs, avaient survécu à celle-ci en firent leur chef et conseiller. Tant qu'il vécut, tous menèrent heureuse vie, dans la joie et dans le respect de la nature.
©eryndel